Les différentes catégories de mémoire
Les mémoires sont multiples et les classifications qui peuvent en être données reposent sur des critères différents selon l’objectif du traitement du « sujet mémoire » qui les sous-tend.
Classification sensorielle (rappel)
Classification ancienne des différents types de mémoires selon l’origine de la perception sensorielle qui les a nourries : mémoires visuelle, auditive, olfactive, gustative et tactile. Cette classification offre aujourd’hui un intérêt moindre en ce qu’elle ne permet pas une approche explicative suffisante des processus mnésiques (cf. chapitre Qu’est-ce que la mémoire 3/5 – Les aspects sensoriels de la mémoire)
Classification neuropsychologique ou neuroscientifique
Les neuropsychologues Endel Tulving et Shayna Rosenbaum publièrent en 2005 une étude sur un patient nommé K.C., victime d’un accident de moto vingt ans auparavant, présentant des troubles singuliers de la mémoire. Il ne pouvait se rappeler aucun événement précis de sa vie. En revanche, il gardait en mémoire les informations générales de lui-même et du monde, les grands événements historiques, le nom des pays, les études qu’il avait suivies, le nom de ses proches. Il avait ainsi conservé le souvenir des connaissances de nature générale, mais avait perdu la mémoire des épisodes vécus de sa vie, liés à un lieu ou à une date.
Cet exemple illustre qu’il existe différentes formes de mémoire selon la nature des informations d’origine et le traitement de ces informations par le cerveau.
Cinq grands systèmes de mémoire sont classiquement distingués, chacun étant subdivisé en sous-catégories :
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La mémoire procédurale
C’est la mémoire des savoir-faire, essentiellement gestuels en apparence, mais également cognitifs. Nager, faire du vélo, jouer d’un instrument de musique, composer gestuellement un digicode sans se rappeler les chiffres, faire une multiplication sur papier de façon automatique, réciter un poème sans penser aux mots qui le composent, relèvent de la mémoire procédurale. Elle présente le caractère spécifique de ne pouvoir être déclarative, à savoir que l’on ne peut exprimer par le langage la manifestation de ces savoir-faire mnésiques. Elle se maintient en général assez bien avec l’avancée en âge (cf. chapitre Qu’est-ce que la mémoire 3/4 – dernière partie « Actes de restitution sémantique, procédurale et épisodique).
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La mémoire perceptive (long terme)
C’est la mémoire des formes et des sons avant même qu’une identification ou une signification soient attribuées à la forme ou au son perçus. Une trace de ces formes ou sons est gardée par le cerveau qui permettra la reconnaissance de la forme ou du son si une exposition ultérieure de cette forme ou de ce son est effectuée, même partiellement.
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La mémoire sémantique
C’est la mémoire des connaissances générales sur le monde ou sur nous-mêmes, sans référence au contexte, aux circonstances, lieux et dates qui ont accompagné leur genèse. Se rappeler quelle est la capitale du Japon ou sa propre date de naissance relève de la mémoire sémantique.
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La mémoire de travail ou mémoire immédiate
C’est la mémoire qui maintient à l’esprit les informations dont nous avons besoin pour parler, imaginer, réfléchir, calculer. Elle garde vivantes ces informations pendant un temps très court, de 15 secondes à deux ou trois minutes en moyenne, le temps nécessaire pour que ces informations nous permettent d’accomplir nos actions immédiates. Maintenir en mémoire les termes d’une question posée le temps que l’on y réponde oralement et immédiatement, se rappeler un numéro de téléphone le temps qu’on l’inscrive sur un papier, mémoriser un itinéraire communiqué oralement alors que l’on demande son chemin (et qui, malheureusement, s’oublie parfois cinq minutes plus tard) relèvent de la mémoire de travail. Toutefois, à partir des enregistrements de cette mémoire de travail peuvent s’ensuivre des enregistrements à long terme, dans la mémoire sémantique comme dans la mémoire épisodique en fonction des interactions entre les différents systèmes de mémoire. Il s’agit du processus de consolidation des souvenirs. Ce processus d’interactions est à la base de tout apprentissage de long terme. La qualité de la mémoire de travail est donc essentielle. Elle exprime notre perméabilité, dans le bon sens du terme, aux informations qui nous parviennent. Meilleure est cette perméabilité, meilleures sont nos capacités d’apprentissage. La mémoire de travail est souvent celle qui s’affaiblit la première avec l’âge ou avec l’apparition de maladies neurodégénératives.
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La mémoire épisodique
C’est la mémoire des événements attachés à notre vécu, liés au contexte de leur survenue, situés dans le temps et dans l’espace. Se rappeler que l’oncle Albert a chanté Plaisir d’amour à l’anniversaire de Gertrude ou ce que l’on faisait lorsque que l’on a appris l’attentat des tours de New-York du 11 septembre 2001 relève de la mémoire épisodique.
Classification pratique : les demeures de mémoire
L’entretien et le développement de la mémoire, tel qu’il est proposé ici, repose sur les deux considérations de base suivantes, confirmées par l’expérience des centaines de programmes mémoire que nous avons conduits sur plusieurs années :
1 – Les domaines d’application de la mémoire sont compartimentés et la mémoire d’un même individu peut présenter des performances très différentes selon ces domaines d’application.
Vous pouvez posséder une bonne mémoire des nombres et avoir une mémoire défaillante du nom des personnes que vous côtoyez. Vous pouvez disposer d’une facilité pour mémoriser un poème et être incapable de bien vous rappeler un itinéraire. Vous pouvez ne rien oublier dans votre activité professionnelle et oublier la moitié des choses dans votre vie domestique.
Métaphore des demeures de mémoire
L’entraînement de la mémoire, justifié par la plasticité cérébrale et tout en s’appuyant sur les principes de fonctionnement des grands systèmes de mémoire précédemment évoqués, ne peut être efficace qu’en tenant compte de la compartimentation des applications de la mémoire. Cette compartimentation peut être très spécifique. Un joueur de bridge peut développer une aisance à mémoriser les cartes par sa pratique régulière du bridge et rencontrer des difficultés à bien se rappeler une liste de courses qui lui aura été communiquée. Il existe néanmoins des passerelles entre les différents domaines d’application. Ces domaines d’application apparaissent comme des « demeures de mémoire » dont la juxtaposition, l’enchevêtrement et les communications constituent métaphoriquement le « château de la mémoire » que la méthode proposée, en jouant le rôle de guide, vous invite à explorer.
2 – Sur un plan pratique, une classification des mémoires établie sur le temps d’enregistrement et le temps de restitution apparaît la plus efficace. Elle se décompose en quatre grandes familles :
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La mémoire de travail ou mémoire immédiate (très court terme : de 15 secondes à 3 minutes)
Cette mémoire est identique à celle décrite par la neuropsychologie (Cf. sous-chapitre précédent). Elle mémorise pendant un temps très court, de 15 secondes à 3 minutes en moyenne, quelques éléments Mémoire des visages
d’information différents (de 5 à 9 selon les individus et la nature des éléments). Elle manifeste notre perméabilité aux informations qui nous parviennent. De cette perméabilité peut et doit s’ensuivre les enregistrements durables par le processus mémoriel de la consolidation. Elle manifeste notre présence au monde.
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La mémoire au quotidien (court terme : de 30 minutes à une semaine)
C’est la mémoire appliquée aux affaires courantes de la vie quotidienne. Se rappeler les termes d’une conversation échangée une heure auparavant ou la veille, l’heure et la date d’un rendez-vous, une liste de courses à faire, l’emploi du temps d’une journée, un courrier à envoyer relèvent de la mémoire au quotidien. Elle met en jeu ce que nous appelons notre « état de veille spontané et permanent » à ce qui nous entoure, c’est-à-dire notre attention à l’environnement immédiat.
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La mémoire d’apprentissage (moyen et long terme : de plusieurs semaines à plusieurs années)
C’est la mémoire, sous diverses formes d’application, de ce que nous désirons nous rappeler pour longtemps : le contenu d’un livre, les éléments d’une discipline comme une langue étrangère, le solfège pour les musiciens, l’enchaînement des figures d’une pratique physique ou artistique, la signification des annonces pour un joueur de bridge, le nom des personnes de notre entourage ou des célébrités, etc.
Elle repose sur le respect de quatre règles : Motivation, concentration, évocation, association.
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- La motivation: il n’est pas de progrès dans la mémoire sans efforts et le désir d’améliorer sa mémoire.
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- La concentration : elle est la manifestation de notre attention aux domaines donnant lieu à mémorisation (enregistrement) ou remémoration (restitution). Il existe plusieurs formes de concentration : concentration simple, concentration créatrice ou imaginative, concentration complexe (Cf. chapitre La concentration)
- L’évocation : c’est notre aptitude à nous faire une représentation mentale, souvent imagée, des informations qui nous parviennent. Elle est essentielle pour donner un contenu concret et perceptible à ces informations, qui, ainsi, s’inscriront efficacement dans notre mémoire.
- L’association : la mémoire fonctionne naturellement par associations. Elle est liée à l’évocation. En développant mentalement des images et des représentations liées aux informations qui nous parviennent, nous créons autant de portes d’accès pour restituer lesdites informations.
- La mémoire profonde (long terme) : C’est notre aptitude à restituer ce qui est enregistré dans notre mémoire, parfois enfoui depuis longtemps, que ce soit dans le domaine de notre vécu comme dans celui de nos connaissances. On peut parler d’un art de la restitution à l’instar de la célèbre Madeleine de Proust, lequel, à partir du goût d’une madeleine, évoque tout un enchaînement de souvenirs liés à cette madeleine.
Une cinquième règle s’ajoute à ces quatre premières, mais elle intervient ultérieurement, c’est la réactivation, soit la consolidation des apprentissages acquis par la révision selon l’expression populaire ou le renforcement des traces mnésiques selon l’expression neuroscientifique.
La métamémoire
La métamémoire est à la fois la connaissance d’un individu sur ce qu’est la mémoire et la connaissance qu’il a du fonctionnement de sa propre mémoire ainsi que de ses capacités à contrôler et réguler les mécanismes de sa mémoire. Ce qui nous importe ici, c’est qu’il existe en chacun une conscience, plus ou moins exacte, du fonctionnement de sa mémoire et des performances de sa mémoire. Cette conscience peut jouer un rôle moteur dans l’entretien et le développement de la mémoire et constituer un ressort de ce que l’on peut appeler la « volonté-mémoire », c’est-à-dire la volonté de se souvenir.
Un exemple explicitera la proposition. A la question « citez-moi les noms des sept nains de Blancheneige. », certaines personnes répondront « je le sais, ou je l’ai su ». De cette connaissance de posséder ces noms quelque part dans leur mémoire (métamémoire), ils engageront l’effort de les retrouver. D’autres personnes déclareront « je ne les connais pas, ou, je ne les ai jamais connus. » Pourtant, si l’on cite à ces dernières personnes les noms de Grincheux, Simplet et Atchoum, il est probable que la plupart d’entre elles admettra les connaître.
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