La mémoire et les intelligences multiples
Pendant des décennies, on a évalué l’intelligence par ce que l’on a appelé le quotient intellectuel, le QI. L’origine de la mesure de l’intelligence revient au pédagogue et psychologue français Alfred Binet et à son collaborateur Théodore Simon, en 1905. Le principe de mesure de l’intelligence s’est depuis développé internationalement. Mais en fait, le QI ne mesure que certaines expressions de l’intelligence, expressions essentiellement de logique et de compréhension cartésienne.
Je me suis souvent demandé si le fait de faire état de sa « note » de QI, quand celle-ci est élevée, était véritablement une marque d’intelligence. En 1983, Howard Gardner présente dans son ouvrage « Frame of mind » la théorie des intelligences multiples. Le développement de sa théorie aboutit à ce jour à l’identification de huit formes d’intelligences et même d’une neuvième forme.
L’intelligence linguistique ou verbale
C’est l’aptitude à utiliser le langage pour comprendre les autres et pour exprimer ce que l’on pense. C’est également l’intelligence des sons. Les personnes qui possèdent une intelligence linguistique ou verbale peuvent avoir davantage de facilité à entendre et mémoriser les mots que de visualiser les images et le retenir.
Ce n’est pas un hasard si l’une des 12 clés d’activation de la mémoire, bases des programmes mémoire Mens-Sana, est la « Fluence verbale », c’est-à-dire l’aisance avec laquelle on s’exprime et l’aisance avec laquelle on trouve ses mots. L’intelligence verbale est indispensable pour les avocats, les journalistes, les poètes, les écrivains, les politiques, les enseignants, les publicitaires et tous ceux qui doivent s’exprimer dans leur activité et trouver parfois le mot juste pour exprimer une idée, expliquer ou résoudre un problème.
* lire l’anecdote entre Picasso et André Malraux en fin d’article.
L’intelligence logico-mathématique
C’est l’aptitude à calculer, à mesurer, à raisonner de façon cartésienne. L’intelligence logicomathématique fait appel à la logique, l’analyse, l’observation, la capacité à résoudre des problèmes, la compréhension des causes et des conséquences, la manipulation des nombres, le sens des mathématiques. Elle inclue également une forme de l’intuition**, c’est-à-dire la capacité à imaginer des théories ou des solutions avant qu’elles ne soient démontrées.
L’intelligence logico-mathématique est le propre des chercheurs en sciences, en médecine, en informatique, des joueurs d’échecs et de bridge.
** Lire sur le blog notre article intitulé « L’intuition »
L’intelligence visuelle-spatiale
C’est la capacité spécifique à se représenter spatialement le monde en images mentales en trois dimensions. Elle ouvre un champ créatif de multiples possibilités comme imaginer l’agencement d’un vêtement, les formes d’un meuble, la création d’œuvres d’art, en sculpture par exemple, bref, de penser en images. Les capacités de repérage des Amérindiens dans leurs déplacements en forêt ou des navigateurs originaires des îles du Pacifique qui naviguent sans instruments sont des exemples frappants d’expression de l’intelligence visuelle-spatiale.
L’intelligence visuelle-spatiale est le propre des créateurs de mode, des peintres, architectes, photographes, metteurs en scène. Les exercices de concentration des programmes Mens Sana incluent de nombreuses phases faisant appel aux capacités visuelles-spatiales.
L’intelligence intra-personnelle
C’est l’aptitude à se former une représentation de soi précise et fidèle et de l’utiliser efficacement dans la vie. C’est la capacité à faire de l’introspection, à revenir à l’intérieur de soi, à identifier ses sentiments, à décrypter ses pensées, ses comportements et ses émotions. L’intelligence intra-personnelle permet de se comprendre soi-même, d’apprécier ses capacités, de connaître ses limites, d’identifier ses désirs. Elle s’ouvre sur la connaissance de soi et l’amélioration de soi. Elle est liée à l’intelligence interpersonnelle qui, elle, s’ouvre sur la compréhension des autres. Tout être est concerné ou devrait l’être par l’intelligence intrapersonnelle, mais le sont plus particulièrement dans leurs domaines d’activité les psychologues, les médiateurs, les écrivains, les comédiens, les philosophes, les traducteurs.
*** Lire aussi sur le blog notre article intitulé « Notre identité, c’est notre mémoire »
L’intelligence interpersonnelle
C’est l’aptitude d’agir et de réagir avec les autres de façon adaptée. Elle génère l’empathie, la coopération, la tolérance. Elle comprend les différences de caractères. Elle permet de deviner les intentions de quelqu’un sans que celle-ci soient explicites. Elle résout les problèmes interrelationnels.
L’intelligence interpersonnelle est indispensable pour tout dirigeant dans un système ou une organisation hiérarchisée.
L’intelligence corporelle-kinesthésique
C’est l’aptitude d’utiliser son corps pour exprimer une idée ou accomplir une activité physique. L’intelligence kinesthésique est la capacité d’utiliser son corps ou une partie de son corps pour communiquer ou s’exprimer soit dans la vie quotidienne, soit dans un contexte artistique. C’est encore le talent pour réaliser des tâches faisant appel à la motricité fine. C’est également les dispositions, la maîtrise gestuelle pour faire des exercices physiques ou pratiquer des sports. L’intelligence corporelle kinesthésique est indispensable aux athlètes, comédiens, danseurs, chirurgiens, bijoutiers.
L’intelligence musicale-rythmique
C’est l’aptitude à penser en rythme et en mélodie. L’intelligence musicale, c’est aussi la capacité de reconnaître des modèles musicaux, de les mémoriser, de les interpréter, d’en créer, d’être sensible à la musicalité des mots et des phrases. Cette forme d’intelligence est l’apanage des musiciens, danseurs, compositeurs, mais aussi des comédiens, des dramaturges, des poètes, des orateurs.
L’intelligence naturaliste
Cette aptitude se manifeste par une sensibilité en phase avec la nature, une compréhension et une capacité de décryptage de l’environnement. Elle se traduit par une capacité à vivre en harmonie avec la nature et dans la nature, en en comprenant par avance les lois. L’intelligence naturaliste est une sorte d’osmose avec la nature. Ceux qui développent cette forme d’intelligence sont d’abord les peuples qui vivent immergés dans la nature, puis ceux qui sont en contact fréquents avec la nature comme les chasseurs, les pêcheurs, les agriculteurs, les botanistes, les écologistes authentiques.
Cette forme d’intelligence ne fait pas l’unanimité des spécialistes.
Or, au moment où cet article est rédigé, les préoccupations sur les relations de l’homme avec la nature et les inquiétudes sur les conséquences de ces relations sur l’avenir de la planète révéleront peut-être si l’intelligence naturaliste-écologiste est véritablement une forme d’intelligence ou si c’est une forme d’intelligence sporadique dépendant de la situation relative du contact « Homme et Nature ».
L’intelligence existentielle ou spirituelle
C’est l’aptitude à se questionner sur le sens et l’origine des choses. Elle se traduit par un questionnement sur le rapport de soi avec le Cosmos, la Création et tous les sujets attachés à ce questionnement. Faut-il considérer cette forme d’intelligence comme une forme à part entière ? Howard Gardner se pose la question. Il considère cette forme d’intelligence plutôt comme une potentialité qui, partant de soi, aborde notre situation en rapport avec la condition humaine, le sens de la vie et de la mort, le sens d’une œuvre artistique ou l’impact d’une découverte scientifique.
Arrivés à ce point, nous pourrions nous arrêter un peu et réfléchir aux composantes qui constituent notre personnalité, notre sensibilité, nos savoir-faire, nos modes d’expression, nos formes multiples d’intelligence. Or, comme nous l’avons déjà signalé dans plusieurs articles, la mémoire est un moteur de notre intelligence ou plutôt nos mémoires sont des moteurs de notre intelligence. Nous disposons donc de différentes formes de mémoire qui constituent les sources qui irriguent et nourrissent nos différentes intelligences. Une fois encore, préserver et développer sa mémoire sont bien plus que simplement se rappeler les choses au sens premier du terme. C’est en réalité entretenir la source de vie de notre activité cérébrale.
*Bonus :
Une anecdote entre Picasso et André Malraux qui allie intelligence linguistique et intelligence interpersonnelle.
André Malraux, ministre de la Culture, organisa au Grand Palais une fameuse exposition Picasso. Ayant fait demander à Picasso l’orientation que celui-ci souhaitait donner à l’exposition, il ne reçut pas de réponse. L’exposition se fit. Malraux reçut alors un mot de Picasso ainsi formulé : « Est-ce que vous croyez que je suis mort ? » On imagine le sens de ce commentaire cinglant, laissant entendre que l’exposition avait été organisée comme on l’eût fait pour un artiste anciennement disparu, qu’elle était sans vie ni rythme, etc.
Comment répondre à une telle invective ? Utiliser la logique formelle, c’est entrer dans le jeu complexe de la justification et des méandres sans fin de l’argumentation et en même temps se placer soit dans la position inconfortable d’un justifiant, soit dans la position agressive d’un contre-attaquant démontant la critique adressée, avec pertinence peut-être, mais en créant de l’irritation certainement.
Cette analyse succincte met en avant que l’important ici n’est pas d’avoir raison, mais de préserver la qualité de la relation. La logique relationnelle prévaut sur la logique rationnelle.
Malraux trouve une réponse remarquable : « Est-ce que vous croyez que je suis ministre ? » Réponse remarquable en effet parce qu’elle change le plan de l’argumentation en se situant sur le plan relationnel, en y ajoutant humour, finesse et intelligence qui ne peuvent qu’avoir été appréciées par le destinataire.
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