Comment fonctionne-t-elle ?
Les aspects sensoriels de la mémoire
Il était usuel de classer, jusque vers 1980, les formes de la mémoire en fonction de la nature des sens par lesquels l’information parvenait au cerveau :
- mémoire visuelle
- mémoire auditive
- mémoire olfactive
- mémoire gustative
- mémoire tactile.
Mémoire olfactive et gustative
Ces catégories sont devenues trop générales pour une compréhension des mécanismes de la mémoire, même si l’on peut y faire référence dans certains cas particuliers comme la mémoire olfactive d’un « nez » dans le domaine des parfums ou comme la mémoire gustative d’un goûteur de produits alimentaires ou de boissons. Dans ce dernier cas, la mémoire gustative se combine le plus souvent à la mémoire olfactive, pour les œnologues entre autres.
Les grands fabricants de café, qui produisent chaque jour des centaines de tonnes de café torréfié à partir d’approvisionnements de café vert d’origines et de producteurs différents, emploient des goûteurs professionnels qui, quotidiennement, recomposent, à la fois par comparaison et par mémoire, les mélanges d’origine pour garantir la permanence du goût des variétés mises sur le marché. Les concours de reconnaissance des crus de vins auxquels participent les grands sommeliers illustrent non seulement leur finesse mais également leur mémoire gustative et olfactive. Le fait que les œnologues goûtent en permanence de nombreux crus fait que leur cerveau développe une fonction mémoire spécifiquement dévolue à la dégustation des vins qui génère leur finesse de goût, manifestation de la plasticité du cerveau, abordée précédemment (Cf. notre article « Qu’est-ce que la mémoire ? 2/4 »)
Mémoire auditive
Affirmer que l’on possède une bonne mémoire auditive, comme parfois certaines personnes le prétendent, mériterait de savoir de quelle mémoire auditive il est question. D’une part, il existe de multiples mémoires auditives : mémoire de ce qui nous est dit par le langage, mémoire musicale, elle-même divisée entre mémoire des mélodies et mémoire de la justesse des notes, mémoire des sons et des bruits comme pour ceux qui reconnaissent les chants de différents oiseaux, etc. D’autre part, ce que l’on perçoit visuellement pendant que l’on entend quelque chose interfère sur la qualité de ce que l’on mémorise auditivement.
Mémoire visuelle
Une constatation similaire s’appliquerait à la mémoire visuelle entre mémoire de lecture, mémoire des visages, mémoire des lieux, mémoire spatiale, mémoire des nombres vus, mémoire des couleurs, etc.
Le professeur de psychologie cognitive, Alain Lieury a illustré l’illusion de la mémoire visuelle dite communément photographique et plus scientifiquement mémoire iconographique par l’expérience suivante : Regardez attentivement le temps de la lire la phrase suivante :
Cachez maintenant la phrase et tentez de restituer ce que vous avez vu. Vous citerez sans peine la phrase, mais il est probable que vous ne restituerez que deux à quatre bonnes couleurs attribuées aux bonnes lettres.
Nous avons donné cet exercice, à titre d’expérience, aux participants de l’un de nos ateliers mémoire. Ces participants suivent à l’année nos ateliers hebdomadaires de deux heures. Non seulement plus rien ne les étonne dans les exercices que nous leur proposons, mais plus rien ne les arrête. Pourtant dans ce cas, l’une des participantes, que nous appellerons ici Jocelyne, a déclaré « Je refuse de faire cet exercice. » Elle avait raison et nous avons expliqué pourquoi cet exercice était difficilement faisable.
Pour reprendre les termes du Professeur Lieury, « notre mémoire n’est pas photographique, elle enregistre avant tout des mots et du sens… »
Conclusion
En fait, c’est l’une des réalités majeures du fonctionnement de la mémoire qui est posée ici. Les couleurs des lettres ne font pas sens, en conséquence, elles ne donnent pas lieu à une interprétation signifiante dans le cerveau et leur souvenir s’efface en quelques secondes. En revanche, en reprenant l’exemple des personnes estimant qu’elles ont une bonne mémoire auditive, cela signifie en général qu’elles disposent d’une bonne aptitude de compréhension, fluide et rapide, des paroles et discours qu’elles entendent, donc une aptitude à donner du sens à ces paroles et discours, ce qui en favorise la mémorisation.
De même, l’œnologue professionnel se rappellera mieux que l’amateur les composantes d’une dégustation de vins parce que les composantes sensorielles des vins goûtés seront évaluées dans son cerveau par rapport aux centaines et milliers de vins dont les goûts, les nuances, les composantes sont en mémoire. Autrement dit, la dégustation prend un sens chez l’œnologue alors que l’amateur restera sur une impression sensorielle qui, sans comparaison avec un acquis mémorisé, sera éphémère.
Ces exemples annoncent deux aspects essentiels du fonctionnement de la mémoire : la comparaison analogique et les relations de la mémoire avec l’ensemble de l’activité cérébrale.
Les mécanismes fonctionnels de la mémoire : La comparaison analogique
A chaque fois qu’une information nous parvient : un mot, une phrase, un discours, la vue d’un visage, une chanson, une mélodie, la vision d’un lieu, la vue d’une image, la saveur d’un aliment, une odeur, notre cerveau compare en un temps très court, une fraction de seconde en général, l’information qu’il reçoit à toutes celles stockées dans sa mémoire appartenant aux mêmes catégories que celles de l’information reçue. Le cerveau interprète cette information par rapport à cette bibliothèque mémoire pour lui donner un sens, ce qui en langage commun signifie : reconnaissance ou non reconnaissance, appréciation, interprétation et jugement, attraction ou rejet, agrément ou opposition.
Par reconnaissance ou non reconnaissance, il faut comprendre association ou non association spontanée de la mémoire avec les éléments rangés dans les catégories concernées qui permettent d’identifier et classer l’information reçue.
Exemple
Vous vous trouvez dans un appartement que vous découvrez pour la première fois. Comme dans tout appartement, il y a des fenêtres. Ces fenêtres sont d’un genre nouveau que vous n’avez jamais vu auparavant.
Pourtant, vous identifiez immédiatement qu’il s’agit d’une fenêtre. Votre cerveau a identifié par analogie avec les centaines de fenêtres qu’il a en mémoire qu’il s’agit d’une fenêtre. Si l’on vous demande : qu’est-ce que c’est ? Vous répondrez une fenêtre. L’exemple paraît banal.
Vous voyez dans ce même appartement un réfrigérateur de beau volume. Vous identifiez de la même manière qu’il s’agit d’un réfrigérateur et qu’il s’agit d’un grand réfrigérateur. Ce qui vous permet de qualifier ce réfrigérateur de « grand » vient de ce que vous êtes européen et que votre mémoire a naturellement comparé ce réfrigérateur aux centaines de réfrigérateurs qu’elle a en mémoire, lesquels en Europe sont de petite taille par rapport à celui que vous voyez. Si vous êtes américain, vous identifierez le réfrigérateur comme normal ou petit parce que votre cerveau d’américain a en mémoire des centaines de réfrigérateurs de grande taille.
Toute information reçue est donc spontanément appréciée et interprétée par la mémoire, voire jugée. Cette évaluation de votre mémoire fait naître en vous des impressions qui spontanément pourront se manifester par des sentiments d’adhésion ou de rejet.
Schéma simplifié de reconnaissance d’un objet par la fonction analogique de la mémoire
L’exemple ci-dessus paraît évident.
Pourtant, dans le cas de déficiences de la mémoire comme celles provoquées par certaines maladies neurodégénératives, la personne déficiente peut se trouver dans l’incapacité de citer le mot « fenêtre » bien qu’ayant parfaitement reconnu qu’il s’agit d’une fenêtre. Tout le processus de reconnaissance s’est pourtant effectué sauf à l’étape de l’accès à la mémoire verbale.
Schéma simplifié d’incapacité à nommer un objet pourtant reconnu
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