Qu’est-ce que la mémoire ? Plasticité et neurogénèse
Qu’est-ce qu’un souvenir ?
Une participante à l’un de nos programmes mémoire, que nous appellerons ici Thérèse, nous confia lors d’un atelier : il y a toujours deux noms de villes qui, bien que je les connaisse parfaitement, ont toujours de la difficulté à revenir à ma conscience. Ce sont Briançon et Bruges.
Elle nous apprend que la ville de Briançon est liée à un souvenir douloureux de son enfance. Sa mère étant soignée à Briançon pour une maladie grave, notre participante s’en est trouvée séparée pendant une période assez longue, vivant alors chez un oncle en Bretagne. On peut imaginer que le nom de Briançon se trouve bloqué dans sa restitution pour des raisons inconscientes liées au vécu de la participante. Que vient faire la ville de Bruges dans cette histoire ? Rien, sinon que le nom de Bruges commence par BR comme Briançon, d’autant qu’il y a également le mot Bretagne, commençant par BR.
D’ autres cas similaires nous portent à croire qu’il y a dans la mémoire de la participante, et donc chez chacun, une indexation des mots ou plutôt des indexations selon des critères variés et multiples. Dans le cas exposé, il y a une indexation des mots commençant par BR et comme l’un des mots commençant par BR est plus ou moins bloqué, Briançon en l’occurrence, d’autres mots associés phonétiquement par leur consonance en BR se trouvent simultanément masqués. Il y a donc des trous de mémoire qui ne sont que le résultat de « facéties mnésiques » pourraiton dire. Ceci pose la question : Où se trouve un souvenir déterminé ? A de multiples endroits vraisemblablement. (Cf. notre article « La mémoire, l’affectivité et nos émotions”)
Où se trouve un souvenir ?
Chacun a fait l’expérience d’un nom qu’il ne parvenait pas à restituer et pourtant il se souvient de ce qu’il y a tel ou tel son dans le nom cherché ou que le nom commence ou se termine par telle ou telle syllabe. – « Quel est donc le nom de cette actrice que je connais bien. Elle joue le rôle de la gérante du bar dans la série « Meurtres au Paradis ». Personnage très sympathique. Son nom commence par « Bour… », Bourdin, non, Bourguignon, non, mais ce n’est pas loin. Elle a fait du théâtre, puis du cinéma, dans « La septième cible », avec Lino Ventura… Elle a joué dans « Un cœur en hiver », … et avant dans un Nestor Burma … « Bourgine ! C’est Elisabeth Bourgine ! »
– Où se trouve donc le souvenir de ce nom qui nous échappe et dont on se rappelle un son ou une syllabe ? En fait, un élément mémorisé se trouve éclaté en plusieurs morceaux, plus ou moins nombreux, lesquels peuvent être localisés dans des aires ou des fonctions mnésiques différentes. Cette dispersion en morceaux annonce un aspect essentiel du fonctionnement de la mémoire.
La remémoration
La remémoration s’effectue parfois par un ré assemblage d’éléments dispersés dans le cerveau. Autrement dit, se rappeler quelque chose n’est pas tirer une photocopie d’un élément mémorisé d’un seul bloc et rangé dans l’un des tiroirs de la mémoire, mais une reconstruction mentale à partir de divers morceaux dispersés. Dans le cas d’un mot à retrouver, comme dans l’exemple précédent, la restitution finale sera identique au mot initialement mémorisé si le mot est familier. La restitution de Briançon, initialement bien connu, aboutira à Briançon. En revanche, la restitution du nom propre d’une personne que l’on n’a rencontrée qu’une seule fois pourra faire l’objet d’une déformation dans la restitution finale alors même que l’on est persuadé d’avoir bien mémorisé le nom. A fortiori, la remémoration d’un souvenir complexe, comme un épisode ancien de sa vie (souvenir d’un voyage ou d’une réunion de famille), constituée d’une recomposition de milliers d’éléments mémorisés, fera l’objet d’une déformation dans la restitution.
La plasticité du cerveau
Le cerveau possède une propriété étonnante : la plasticité. Les réseaux de neurones reliés entre eux par des synapses se remodèlent en permanence en fonction des flots d’informations qui lui parviennent, des actions de remémoration permanentes et de l’activité cérébrale dans son ensemble. De nouveaux réseaux se créent, de nouvelles aptitudes mentales se développent en réponse aux informations et aux sollicitations qui sont adressées au cerveau : expériences sensorielles, mémorisations simples, apprentissages, réflexion, etc. Cette propriété permet au cerveau de renforcer certains souvenirs et de les stabiliser dans un processus de consolidation mnésique, de développer de nouvelles capacités et de nouveaux savoir-faire dans les domaines précis où il est sollicité. Il est donc capable de progrès, et ce, quel que soit l’âge.
En conséquence, l’entretien et la stimulation du cerveau et plus particulièrement de la mémoire sont concrètement bénéfiques pour en maintenir et en développer l’efficacité.
La neurogénèse
La neurogénèse embryonnaire est le phénomène de création de neurones qui aboutit à la constitution du cortex cérébral constitué en moyenne de 86 milliards de neurones. Elle se déroule depuis le stade embryonnaire jusqu’à l’adolescence.
Mais le cerveau possède une autre propriété étonnante : la neurogénèse adulte. On pensait jusque vers 1960 que le cerveau possédait un capital de neurones donné au départ et que ce capital de neurones non seulement ne se développait pas au cours de la vie, mais s’amoindrissait au fil du temps. En fait, la diminution du capital est faible et la quantité de neurones restante jusqu’à un âge avancé est suffisante pour assurer une efficacité satisfaisante. Ce qui est déterminant dans le fonctionnement cérébral, c’est l’entretien et le dynamisme des connections entre les neurones via les synapses par le développement et la refonte permanente de nouveaux réseaux de liaison, d’où l’importance d’activer l’activité cérébrale dans tous les domaines.
Mais surtout, on a découvert que le cerveau produisait de nouveaux neurones en permanence, à partir de cellules gliales, les astrocytes, dans l’hippocampe et du bulbe olfactif. Une partie de ces nouveaux neurones meurt, mais une autre partie achève sa maturation. Ces neurones s’intègrent alors aux réseaux existants, renforcent leurs connexions synaptiques avec les neurones environnants et participent, surtout si un apprentissage les sollicite, au réseau neuronal de stockage du souvenir. Ces nouveaux neurones permettraient d’améliorer les capacités de mémorisation de souvenirs proches, sans interférer avec les souvenirs plus anciens. La dynamisation de ces neurones paraissant dépendre de leur sollicitation par de nouveaux apprentissages met en lumière l’importance de l’entretien et de la stimulation de l’activité cérébrale.
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