Entretenir et développer sa mémoire apporte un confort de vie dans l’utilisation de ses ressources cérébrales, permet de pallier les petites faiblesses et carences qui sont en général le lot de chacun et préserve des dégradations mémorielles qui surviennent avec l’âge et peuvent inquiéter.
Mais l’entretien de la mémoire apporte un autre bénéfice essentiel : le développement de l’aptitude à concevoir le futur.
Le lien entre passé et avenir dans le fonctionnement cérébral était pressenti depuis les années 1980 et par l’observation du psychologue Endel Tulving, de l’Institut Rotman de recherche sur les fonctions cérébrales, d’un patient victime d’amnésie à la suite d’un accident de moto. Le patient est dans l’impossibilité de revivre les évènements de son passé ; sa mémoire épisodique, celle qui garde les évènements de notre vie, est atteinte.
Le patient est par ailleurs incapable de se projeter dans l’avenir. Il vit dans un présent perpétuel.
« Quand on lui pose la question, il est incapable de dire ce qu’il va faire plus tard dans la journée ou le lendemain, ou encore à n’importe quel moment de sa vie future. Il ne peut pas davantage imaginer son avenir que se souvenir de son passé. » (Endel Tulving, Revue Annuelle de Psychologie, 2002).
Sans nos souvenirs, nous sommes incapables de nous projeter dans l’avenir.
Ceci semble confirmé par l’imagerie cérébrale en 3 D obtenues en IRMf (Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) qui montre que les zones cérébrales activées lorsqu’un sujet se rappelle des souvenirs autobiographiques sont les mêmes que celles qui sont mises en jeu lorsqu’il élabore des projets.
L’hypothèse selon laquelle un seul système neurocognitif sous-tendrait le voyage mental dans le temps, passé et futur se trouve également confirmé par les expériences de Liliane Manning, professeur de neurologie cognitive à l’Université de Strasbourg et de Anne Botzung, postdoctorante à l’université Duke à Durham (Etats-Unis) dont les conclusions sont en résumé les suivantes : Si l’homme peut revisiter son passé, c’est pour y puiser le « vocabulaire » qui lui permettra d’imaginer des scénarios futurs. C’est cette faculté qui lui permet de s’adapter à de nouvelles situations ou d’envisager des stratégies pour atteindre les buts qu’il s’est fixés.
« Nous extrayons des éléments d’expériences vécues et les recombinons pour simuler, imaginer notre futur », défend à son tour Arnaud d’Argembeau, du laboratoire de psychologie de l’université de Liège.
« Si l’évolution nous a donné cette capacité de nous pencher sur notre passé, c’est pour nous donner le matériel nécessaire à la construction de notre avenir. » (Lilianne Manning)
Notre créativité dépend de notre mémoire du passé.
Or, ce « matériel » nous permettrait de nous projeter ailleurs, non seulement dans le futur, mais aussi dans d’autres lieux, voire d’autres perspectives, comme l’ont affirmé en 2007 les neuropsychologues américains Randy Buckner et Daniel Caroll en proposant le concept de « projection de soi ». En effet, les régions cérébrales sollicitées par les souvenirs et les projets le sont également dans d’autres circonstances : quand nous sommes au repos et que nous laissons notre pensée évoluer librement, ou, quand nous nous « mettons à la place » de quelqu’un d’autre et que nous essayons d’imaginer ce que cette personne ressent.
C’est ce qu’exprime Lilianne Manning : « La possibilité d’utiliser des évènements du passé pour se projeter dans l’avenir, des lieux du passé pour se projeter dans des lieux qui ne sont pas là, notre perspective personnelle pour nous projeter dans une autre personne… Tout cela fait appel à une fonction cruciale du cerveau : la capacité de réutiliser la mémoire du passé. »
Ainsi, pour prévoir, concevoir un projet, établir un plan, imaginer des solutions, donner le meilleur de sa créativité, il faut disposer d’une mémoire efficiente et d’une maîtrise à en exploiter les diverses ressources.
0 commentaires